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Revue de presse

✍ Écrivains et artistes - Léon Verane



Le Revest

par Léon Vérane

 


Vous souvient-il, mon cher ami (M. Damon), de cet après-midi que nous passâmes au Revest, de la guimbarde qui, par mille tours et détours, après mille secousses étourdissantes, nous laissa à Dardennes dans un chaos de montagnes sauvages, pleines d’une odeur de thym et de fenouil ? Longtemps il nous fallut marcher le long du chemin capricieux ; nous fîmes des orgies de figues, nous volâmes des raisins verts pour l’amour de l’art, et je montai sur les murs pendant que vous fîtes le guet dans le fossé. De temps en temps, passait devant nous, noir et lustré sur la route mate et blanche, un mulet chargé de deux paniers où dansaient des bouteilles ; une paysanne bariolée le suivait de près une cruche en main ; à quelques pas suivait une jeune Provençale aux lèvres rouges et luisantes de suc, aux yeux remplis des complots du Démon ; elle tirait à elle deux chèvres qui renâclaient au bout de la même corde. Toute la caravane s’engouffrait dans un sentier de traverse, montait dans les méandres d’oliviers et faisait longtemps rouler les pierres aux flancs de la montagne.





Bientôt le Revest nous montra sa tour féodale rouge et cassée, plantée sur un piton comme la floraison même de la roche, et entourée de maisons colorées qui s’appuient peureusement les unes sur les autres pour ne pas tomber dans l’abîme. Les vergers devenaient plus riants et plus denses à l’approche du village ; ici et là de vieilles chapelles érigeaient leurs fléchettes minuscules dans les jardins, puis ce fut à l’entrée du bourg l’allée de gros platanes tout couverts de verrues et de tumeurs et l’espace rocailleux qui sert à la fois de grand-rue et de grand-place ; à notre gauche, l’église et les vieilles maisons aux angles flanqués de tourelles, au fond de la ruelle abrupte qui monte vers le mystère d’un paysage farouche, enfin, devant l’église et un peu à droite, la fontaine.



Ah ! cette fontaine, vous l’avez dit avec moi, c’est tout le Revest. Humble obélisque, orné de quatre mascarons qui crachent une eau glacée, elle alimente deux vasques et un lavoir où retentit tout le jour le battoir trempé des villageoises. Un ormeau ancestral la domine et l’ombrage, arbre fantastique planté, semble-t-il, dans la margelle d’un vieux puits qui n’arrive pas à contenir toutes ses racines. Et là se déroule toute la vie locale – vraie vie de pastorale sicilienne, s’il en fut jamais.


L'auberge du Vieux Château


A l’ombre de cet ormeau, comme les vaches virgiliennes qui se rassemblent autour du même arbre, toute la population s’abrite de la chaleur du midi. Autour de cette fontaine se réunissent, plus volontiers que dans les maisons, les familles de deux fiancés pour signer les contrats, là s’assoient les amoureux qui n’ont rien à cacher, là se concluent les marchés, se vendent les chèvres, s’achètent les arpents de bonne terre ; là se réunit le Conseil municipal, et vous jureriez, quand, un dimanche matin, ces vieux paysans rudes discutent les intérêts du village, assister au Conseil des Anciens devant la tente d’Abraham. Les femmes y caquètent le jour en cousant, en lavant les légumes, en écossant les pois. Mais c’est dans la tiédeur lourde, au crépuscule, que la bucolique est parfaite, quand les « pasteurs » s’assoient en rond sur la margelle de l’arbre centenaire, frappant du talon la pierre usée. Les enfants interrompent leurs jeux et se recueillent ; les bœufs, arrêtés ça et là, laissent fumer leurs flancs sans broncher, et les hommes parlent tour à tour dans l’ordre de leur âge, avec gravité, sans jamais s’interrompre les uns les autres. Les épouses, la cruche en main, font de loin un cercle respectueux autour de l’assemblée des maris, et l’âme des anciens âges renaît dans la grâce du tableau, dans le mouvement primitif des attitudes et des gestes, cependant que là-haut, dans la vieille tour, tinte l’horloge qui annonçait les mêmes heures aux sujets du roi Béranger.



L’avons-nous assez observée, mon cher Damon, cette scène du soir, assis discrètement sous les treilles à quelques pas de là, devant l’hôtel du Château, les narines caressées par l’odeur d’un plat succulent de tomates épicées, avec un plein flacon de vieux vin du Var entre nous deux. Certes, vous vous rappelez cette omelette au lard, et ce fromage qui sentait la chèvre et l’étable chaude.


 

L'auberge du Vieux Château



Le dîner fini, nous montâmes vers le sommet de la colline, par des escaliers hasardeux, encombrés de cailloux, et des rues abruptes où les crottes des boucs roulaient, comme des boules de houx, par milliers. Nous possédâmes enfin, nous palpâmes cette tour crénelée à la mauresque, qui fait du Revest je ne sais quel Catalayud mi-arabe, doux souvenir de la Castille. Nous admirâmes son antique cloche aussi fêlée, aussi fissurée que les pierres même des murailles, et les teintes sanglantes des murs dans le couchant. Près de nous, les lézards couraient dans les ruines des maisons anciennes car le Revest, à l’imitation de tant de bourgades des environs, n’est qu’un Revest nouveau bâti au pied d’une cité haute peu à peu abandonnée. A nos pieds, c’était toute une Provence d’oliviers dont les verts prenaient mille tonalités diverses selon la distance où ils étaient et la hauteur où ils avaient poussé dans la montagne. Merveille imprévue, Toulon et le Mourillon nous apparaissaient dans la nuit tombante au fond de la vallée, et la rade pleine d’une nuée violette s’entourait d’une ceinture féerique de lumières. La lune se levait déjà, comme suscitée par la magique incantation des grillons, accompagnée d’un cortège de senteurs plus fortes. Les oliviers devinrent des milliers de hérissons métalliques, repliés en boule les uns près des autres, de tous côtés ; les routes prirent un éclat de fer blanc dans la nuit claire. Puis, vers minuit, nous descendîmes, et ce fut de loin, sur le chemin de Dardennes, la vision fantastique de la tour qui se détachait toute lumineuse et argentée sur un fond de montagnes terribles que la lune ronde n’éclairait pas.



Sources : « Portrait de la France : Toulon » par Léon Vérane. Texte écrit en 1927, publié aux éditions Émile-Paul Frères en 1930. repris dans le recueil " Le Revest et son siècle des lumières"  publié en 2004 par les associations revestoises Les Amis du Vieux Revest et du Val d'Ardène et Loisirs et Culture.




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