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🚒 Incendies - La défense de la forêt méditerranéenne




Pendant plus de 10 ans, André Beaugé, botaniste, chercheur au CNRS et Docteur es Sciences, a recherché et proposé des solutions pour la défense de la forêt méditerranéenne. Voici l'un de ses textes du 30 mai 1989.

 

Face aux derniers sinistres subis par la forêt provençale, après ceux de cet hiver exceptionnellement doux et sec, il est indispensable de prêter la plus vive attention aux moyens de lutte et aux causes directes des incendies. Mais ce serait insuffisant, si nous ne savons remédier aux conditions de vie extrêmement précaires des peuplements forestiers tout autour de la Méditerranée. Corrigeons-les, au moins chez nous, sinon la lutte serait un gaspillage inutile, inefficace.

 

Il ne s'agit pas d'un luxe. Sous peine de sacrifier toute l'écologie régionale, il est nécessaire de sauver cette forêt, qui en est la clé de voute. Sans écologie rationnelle, y a-t-il une économie possible ?

 

Or, les conditions de vie forestière autour de la Méditerranée sont désastreuses. Ainsi, les peuplements ont-ils évolué des essences de feuillus aux résineux si inflammables qui, eux-mêmes, font place aux garrigues qui végètent sur des épaisseurs de sols dérisoires. Après quoi, la terre agonise.

 

Ces mêmes conditions de vie sont très défavorables à la puissance, à la vitalité, à la hauteur et à la prospérité des espèces arborescentes. Une forêt saine ne brûle pas comme nous voyons brûler celles qui entourent la Méditerranée.

Trois éléments sont indispensables à considérer : le climat, l'état des eaux souterraines et l'érosion des sols.

 

Le climat

La Météorologie Nationale nous fournit des statistiques dont l'étude permet de comparer les conditions climatiques françaises sur le versant et les côtes atlantiques avec celles du versant et des côtes méditerranéennes. Cette comparaison évite des généralisations abusives qui peuvent être à l'origine d'erreurs de gestion.

 

Les hauteurs de précipitations sur les côtes méditerranéennes et sur les côtes atlantiques sont dans le rapport de 3 à 5. Premier constat. Les pluies méditerranéennes, en outre, sont le plus souvent orageuses. Ainsi, sur 3 jours de pluie à Nice, nous avons un jour d'orage. A Brest, nous n'avons qu'un jour d'orage pour 17 jours de pluie. Dans un temps égal de pluie, il tombe 157 litres d'eau à Nice pour 100 litres à Brest. Mais il y a 210 jours de pluie à Brest et seulement 105 à Nice. Ces chiffres mettent en évidence la brutalité des pluies méridionales, causes de tant de sinistres et, en même temps, la précarité de l'alimentation en eau qu'elles fournissent à la végétation.

 

En même temps, les différences de températures et du temps d'ensoleillement entre les régions atlantiques et les régions méditerranéennes créent des écarts considérables entre les taux d'évapotranspiration : le rapport est de 10 à 19. Nous pouvons déjà, sans imprudence, retenir comme conclusion première que si la végétation des régions méditerranéennes jouit d'une lumière abondante favorable à la fonction chlorophyllienne, la carence en eau est un risque constant.

 

Les eaux souterraines et la nappe phréatique

Les eaux souterraines devraient servir de régulateur entre les alternances de pluies orageuses et parfois torrentielles, et les périodes de sècheresse prolongée.  Elles devraient mettre en réserve les excès des précipitations et permettre une alimentation constante pendant les longues périodes sèches.

 

Autrefois, les restanques, les "bancaous" des Provençaux, ces terrasses bâties sur les pentes, retenaient l'eau de pluie, tandis que les excès d'arrosage s'acheminaient vers la nappe phréatique. Les nouvelles façons agricoles ont amené, depuis la guerre, l'abandon de centaines, voire de milliers de kilomètres de ces terrasses. Les murets aujourd'hui se délabrent, souvent s'écroulent. La terre fuit, et l'eau se perd de même, l'une et l'autre s'acheminant vers la mer. On a, par ailleurs, multiplié sans précautions ni contreparties, les surfaces macadamisées ou bétonnées qui ferment hermétiquement l'accès des pluies vers la nappe. Au lieu d'épurer les eaux usées, trop souvent encore on les achemine à grand frais par des égouts étanches jusqu'à la mer qu'elles polluent impunément. Heureusement, certaines municipalités on pris des initiatives inverses.

 

Mais l'état des réserves d'eau souterraines reste très préoccupant, d'autant plus que l'évolution des climats ne nous est pas favorable. Les géophysiciens estiment que les rythmes naturels semblent avoir amorcé une phase de refroidissement durable. Mais l'élévation de la température, causée par l'effet de serre que nous devons à l'accumulation de CO2 dans l'atmosphère, nous vaut un réchauffement certain. Celui-ci ne peut que déplacer vers le Nord les conditions de désertification. Les pourtours méditerranéens évoluent ainsi, comme l'a fait le Sahara qui se traversait en char à bœufs il y a moins de 2000 ans. Sans une alimentation et une protection des eaux souterraines, le destin du Sahara sera-t-il celui du bassin méditerranéen ?

 

L'érosion

Les chiffres, clamés sans désemparer et depuis des décennies par les spécialistes, sont dans le domaine public, mais qui donc en tire des conclusions pratiques ? Les chiffres des sols perdus sont les suivants : rarement moins de 200 à 300 tonnes au km2 par an, parfois 4000 à 5000. Et nous ne savons depuis combien de siècles cette cadence s'est établie (Enc. Univ., Art. SOLS (6 Érosion) F. FOURNIER & S. HENIN).

 

Ainsi, les sols de surface, les plus riches en éléments organiques, s'en vont à la mer avec les eaux inutilisées, dans une région qui a tant besoin des uns et des autres. Pourtant, les résidus des stations d'épuration des eaux peuvent utilement participer à la reconstitution d'un sol forestier. Plus de 50 %des ordures ménagères pourraient y être acheminées. Nous préférons les brûler et épaissir ainsi la masse de gaz carbonique de l'atmosphère, en sacrifiant les forêts qui purifieraient l'air dont nous avons tous besoin.

 

Pourtant, nous possédons des techniques rapides de retenue des sols : les "gabions" qui soutiennent les remblais des autoroutes en sont l'exemple. On craindrait qu'une telle orientation de nos pratiques ne soit très onéreuse ? Tentons pour en juger une amorce d'addition

  • coûts directs et indirects du chômage
  • ravages causés à l'équilibre naturel par les incendies de forêt, la pollution conséquente, l'irrégularité des débits fluviaux, etc
  • frais énormes d'une lutte perdue d'avance contre les incendies

Et comparons cette note avec celle d'une gestion saine et logique des éléments disponibles. Nous conclurons sans doute différemment. Nous sauverions ainsi le présent, sans sacrifier l'avenir, puisque gouverner, c'est prévoir.

 

Si les forêts méditerranéennes brûlent, c'est parce qu'elles manquent de sol et d'eau. Une alimentation constante modifierait la répartition des essences et leur prospérité en les rendant, du même coup, moins vulnérables.


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