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❂ Le Groupe Revestois - La République au quotidien




Source : texte de Charles Aude publié dans le n°4 de mai 1987 du bulletin de la société des Amis du Vieux Revest et du Val d'Ardène



La célébration du bicentenaire de la Révolution Française approche et va faire éclore de multiples dissertations sur le sens de la devise "Liberté, Égalité, Fraternité".


Dans un monde en profonde mutation, une réflexion sur les valeurs républicaines est peut-être le moyen de reconnaître ce qui, au-delà des débats et des confrontations permanentes de la démocratie, fait l'unité de notre pays.


Pour définir les principes  reconnus par les lois de la République, le Conseil Constitutionnel fait le plus souvent appel aux lois votées pendant la période d'affermissement des idées et des institutions républicaines, c'est-à-dire la période 1880-1914. Cela est vrai pour l'école, pour la presse, pour le droit de pratiquer librement son culte (pour tous), et aussi pour le droit de s'associer librement.


Certes, des "associations" existaient avant l'intervention de la loi du 1er juillet 1901, mais elles étaient seulement tolérées par le pouvoir central, susceptible d'intervenir à tout moment sous couvert des mesures d'ordre.
Ces associations "risquées" étaient souvent formées dans des buts politiques.
Dès le début du XXe siècle,  les partis politiques se structurent et prennent en charge les combats menés auparavant par des associations.


Alors, le mouvement associatif se recentre, sans que les traces des luttes passées disparaissent du jour au lendemain.  Et force est de remarquer que la vie interne des associations fourmille de références à ce qu'ont été les premiers pas de l'affermissement de la République.


Le Groupe Revestois nous parait être une très bonne illustration de la diffusion de la République dans nos villages. Ses 80 ans (NDLR : en 1987) nous donnent l'occasion de scruter, à partir de quelques documents, l'esprit de ses fondateurs.


Dans le droit fil de ce qui précède, et sans nous attarder, il faut observer que le Groupe Revestois est issu de "L'Union Socialiste du Revest" dont nous ne savons pas beaucoup de choses à l'exception de la connaissance de quelques uns de ses membres, des articles de journaux ou de la plaque retrouvée aux Laurons dans un cabanon appartenant à Philémon POMET et qui précise que ce groupe se réunissait dans ce cabanon.


Une étude plus complète est en cours dont les résultats pourront être repris dans un prochain bulletin.

Statuts du Groupe Revestois

La transformation peut donc être datée du 2 mars 1907, date de l'assemblée générale qui a adopté les statuts.
Est-ce à dire que les membres de l'Union ont renoncé à ce moment à leurs convictions socialistes ou à tout le moins républicaines ?
Absolument pas, ainsi que l'atteste notamment la présence de plusieurs fondateurs du Groupe dans les rangs de la SFIO, des comités de soutien aux candidats de la SFIO ou à la ligue des droits de l'homme dans les années ultérieures.


Disons que le centre d'activité politique s'est déplacé vers le parti politique, dont la création véritable date de cette époque (1901 pour le parti radical et 1905 pour la SFIO).
En un mot, le Groupe remplit un autre but et a une vocation de recrutement plus large au niveau local.


Quel est le but ?


Deux références écrites pour débuter : le titre des statuts qui indique : "Groupe Revestois d'intérêt local" et l'article 4 de ces statuts selon lequel les membres "s'engagent de s'intéresser à la prospérité du Groupe et du Revest", ce qui pris au pied de la lettre pourrait nous amener très loin !

En fait, l'objectif est assez clair et s'apparente à celui qui a motivé la création de tous les cercles à la fin du XIX e siècle : se réunir, au Groupe pour discuter, jouer aux cartes, faire un repas ou danser éventuellement, boire un coup entre gens du même lieu ... de même qu'on s'unit à ce moment dans la mutualité pour couvrir certains risques ou dans le parti pour mieux participer à la vie démocratique, qui est une conquête récente.


Mais voyons plutôt les documents, à travers le prisme (un peu forcé, mais pratique) de la triade républicaine.


La mise en valeur des libertés fondamentales


Être membre du Groupe Revestois, c'est d'abord avoir la liberté d'adhésion ! Liberté garantie par la loi de 1901 sur les associations, encore que des cercles existaient avant cette loi, mais le respect de cette dernière est obligatoire pour accomplir certains actes de la vie civile et notamment pour acquérir. Aussi, bien que créé dès 1907, le Groupe Revestois dépose ses statuts à la sous-préfecture de Toulon le 26 janvier 1913, avant d'acquérir l'ancien presbytère.


Si l'on écarte les conditions pécuniaires, trois freins semblent mis à la liberté d'adhésion.


  • Il faut être présenté par deux membres du Groupe (article 3) et admis à la suite d'un vote majoritaire. Cette condition était bien appliquée et tous les comptes-rendus d'assemblée font état des admissions et des "parrains" de chaque admis.
  • Il faut être âgé de 16 ans minimum, ce qui peut paraître tardif dans une société où le travail commençait plus tôt ... mais ce serait oublier le patriarcat des pays méditerranéens qui induit la séparation des activités des jeunes et des adultes.
  • Il faut respecter les statuts et un code de bonne conduite, ce qui est la traduction directe du principe de 1789 "la liberté s'arrête ..."


Présentation de membres au Groupe


On pourrait faire une étude ethnologique de ces trois conditions et écrire par exemple que les "présentations" correspondent au rite d'introduction dans le clan ou la tribu. Il y a de cela ... mais ce qui nous intéresse, c'est de savoir si le Groupe a été attractif, si ces conditions ont été non pas un frein mais seulement les modalités d'exercice de la liberté d'adhérer à une association.


Les faits parlent. La délibération du Conseil municipal du 7 mars 1913 nous apprend que le groupe comprend "presque la totalité des citoyens du pays" et l'économe CHAIX précise dans une lettre du 28 juin 1912 "nous sommes environ 90 membres".


Au recensement de 1911, il y a 792 habitants au Revest dont 292 étrangers pour la plupart employés au barrage. Si l'on ne prend que les chiffres du village et des alentours immédiats, on a 450 habitants parmi lesquels pas mal d'étrangers. La proportion des membres du cercle est donc forte et apparaît encore mieux lorsqu'on sait qu'il y a 140 ménages dont probablement une vingtaines d'étrangers.


L'information du Conseil est donc assez plausible et montre par son existence même que la place prise par le Groupe dans la vie du Revest de l'époque est majeure.


Le succès du Groupe parait d'ailleurs entraîner, comme cela est assez classique, une perversion des objectifs sous l'influence de cette société d'hommes qui, quoique républicains, n'en sont pas moins attachés à l'héritage, fruit du travail. Ainsi, lorsque Marius ISNARD propose le 14 avril 191 de baisser le prix de quelques boissons car le Groupe est prospère, il lui est répondu qu'il est encore trop tôt "vu que nous travaillons pour l'avenir du Groupe" !


La liberté,, c'est aussi celle de se réunir dans un local "à soi" (ah, la propriété !), raison pour laquelle les membres accorderont autant d'importance à l'achat du presbytère, c'est la liberté de boire quand on le désire sans y être obligé et ça peut être la liberté de s'informer.

Sur ce dernier point, il ne faut pas penser au pluralisme, car le Groupe n'avait pas les moyens (ou n'entendait pas consacrer trop de ses moyens) de s'abonner à plusieurs journaux : il décide le 14 janvier 1912 de "s'abonner pour trois mois, afin de ne pas mettre le Groupe à la dérive" (sic) "au journal qui obtient le plus de voix et qui est, pour reprendre un mot célèbre, "républicain modéré, mais pas modérément républicain" : LE PETIT VAR.


vote-journal


Grâce à cet abonnement, l'information va toucher beaucoup de gens qui n'auraient pas fait individuellement l'apprentissage de la lecture du journal avant longtemps ...

L'information, c'est aussi plus simplement l'état des finances du Groupe qui est affiché au moment de chaque assemblée générale sous un double éclairage puisque le trésorier et l'économe font chacun une présentation des recettes et des dépenses.

Enfin, dernier aspect des libertés que nous mentionnerons et qui est méritoire à nos yeux, malgé la longue habitude des débats dans les communautés provençales, c'est la liberté de s'exprimer en étant assuré du respect de ses camarades, ainsi que cela ressort des comptes-rendus. Ainsi, lorsque E CHAIX présente sa démission, l'assemblée du 30 juin 1912 décide d'attendre son retour pour qu(il donne ses motifs de vive voix.


procès-verbal AG 20 juillet 1913


Y-en-a-t-il de plus égaux ?


"Le Groupe est composé d'un nombre indéterminé de camarades honorables et admis conformément ..." article 2)

La seule restriction prévue par les textes à l'égalité entre les membres concerne la présentation des "candidats" qui revient en tout premier lieu aux fondateurs.

Aucun privilège ne semble accordé aux fondateurs ou aux membres honoraires par rapport aux "participants".

Au sein des instances dirigeantes, toutefois, le président a voix prépondérante, lors d'un vote, en cas d'un nombre égal de voix.

La seule dérogation connue avant 1914 n'en est pas vraiment une (puisqu'il ne s'agit que de la cotisation) et, sans que cela nous étonne, est favorable à "la grande sagesse de l'âge" !

En effet, lors de l'assemblée du 14 janvier 1912, le président HERMITTE Séverin propose que "tout fondateur du Groupe ayant atteint l'âge mûr de 70 ans ne devrait plus payer de cotisation".

Notons que cela ne s'applique qu'aux fondateurs et que l'assemblée a refusé le même jour que ce "privilège" soit transmissible de père en fils, car "tout camarade rentrant doit payer".

Enfin, en espérant que cet article ne trouve pas de sitôt à s'appliquer, l'article 19  prévoit que 'en cas de dissolution du Groupe, l'avoir et le matériel seront répartis entre les membres du Groupe et à jour de leur cotisation ..." (idem pour les pertes) : ce texte ne fait aucune distinction entre les membres.


Fraternité ... et même camaraderie !


Tel est l'objet de la création du Groupe, il ne faut pas être étonné dès lors des multiples exemples possibles. Les statuts se bornent à définir une mission ("prospérité du Groupe et du Revest") et à prévoir les sanctions éventuelles (exclusion en cas d'acte contraire à l'honneur ou de condamnation infamante).


Nos documents nous renseignent sur une réunion du bureau du 28 juillet 1912 où il fut décidé d'envoyer une lettre d'avertissement à un membre qui "dans cette soirée d'agrément pour eux ... s'est fait remarquer par des gestes, ses paroles et ses disputes". Évènement rare probablement, le cercle n'a pas laissé le souvenir d'un lieu de grandes querelles malgré tous les repas ou banquets qui s'y sont déroulés.


Les banquets, moments privilégiés de la camaraderie, réunissant au pied levé quelques membres ou plus officiels, pour le 14 juillet (bouillabaisse et poulet ...) ou l'inauguration du local. Plaisirs collectifs delafête locale, où l'on a invité Mr Pierre GRIMAUD, tambourinaïre du Broussan,à venir jouer au Revest.


Invitation du tambourinaïre du Broussan





Il y a à ce propos tant d'histoires que nus aurions voulu entendre et vous rapporter ... et qu'il aurait fallu vous traduire comme "la mousco de l'amoure" !


poème


La fraternité s'exprime bien sûr lors de la perte de membres du Groupe, salués par les assemblées générales comme le 13.10.1912 pour Auguste CLAUDE ou le 20.7.1913 pour Noël GABRIEL.


Enfin, et cela aurait pu faire l'objet de nombreux détails, la camaraderie franchit les portes du cercle et s'adresse aussi aux cafés puisque lors de la réunion du 20.7.1913 qui prévoit d'organiser un concert pour la fête locale, Philémon POMET se demande "s'il n'y a pas d'inconvénient pour les deux autres cafés ..."


On a discuté !


Les vendanges de la République


Ce titre du livre de Yves Rinaudo (extraits sur cette page) me touche beaucoup. Il évoque deux images qui font ma fierté d'être Revestois. Aux vendanges, leur empressement, le goût du pain partagé de bon matin et celui des olives, les histoires de "moustrouille" chez tante Pine.


A la République, j'associe les soirées électorales à la mairie du Revest, quand les regards se croisent et se comprennent, la voix de M. le Maire annonçant les résultats ("ont donc obtenu ...") et aussi mes premières réunions d'adolescent, au Syndicat d'Initiative, au dernier étage du Cercle ...



Références


Maurice AGULHON : La république au village, Paris, seuil (sur les chambrées)
Yves RINAUDO : Les vendanges de la République, Lyon, PUL 1982 (les paysans du Var à la fin du XIXe siècle)
Lucienne ROUBIN : Chambrettes des Provençaux, Paris, Plon, 1970 (un trésor ...)
Comptes-rendus rédigés par Étienne POMET 1912-1913
Délibérations du Conseil municipal 1907-1913


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