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🏫 L'école au village - Les serpents



En évoquant cet autre souvenir, j'ai encore envie de sourire, tant d'années après.


Nous avions en classe, un aquarium où nous regardions, jour après jour, les têtards devenir grenouilles, où nous observions les petites bêtes aquatiques que les enfants adoraient apporter. Nous avions aussi un terrarium, pour observer les petits animaux terrestres qu'il était possible de capturer... un jour ou deux, après quoi nous leur rendions la liberté. Nous élevions aussi des vers à soie, ce qui permettait aux enfants d'apprendre les métamorphoses des insectes en les regardant vivre et se métamorphoser sous leurs yeux. Ai-je pu communiquer à mes petits élèves, l'amour de la nature que je portais en moi ? Si j'avais réussi cela, j'aurai  l'impression d'avoir accompli une grande œuvre. Mais revenons à notre petite école.


Ce jour-là, je devais faire la leçon sur les serpents. Les années avaient passé, les livres s'étaient modernisés, et celui de "leçons de choses" comportait de belles images, mais la réalité vaut toujours mieux que la plus belle image du monde. C'est pourquoi à onze heure et demie, en partant chez lui, un des garçons me dit :

- Madame, on fait la leçon sur les serpents, après-midi ?

- Bien sûr.

Tout étonné, il me regarde et ajoute :

- Et alors, on n'en apporte pas ? pourquoi ?  habitué qu'il était à apporter tout ce qu'il était possible de mettre dans une petite boîte ou même dans sa poche, et il faut croire que les serpents entraient dans cette catégorie. Et d'ajouter tout net :

- mais moi je vais en apporter, Madame.

et tous les garçons de reprendre en chœur : 

- moi aussi ! moi aussi !


Je dis "les garçons", car en ce temps-là, les serpents étaient uniquement une affaire de garçons. On ne parlait pas encore beaucoup d'égalité des sexes. On faisait facilement - peut-être un peu trop, après tout... - la différence entre les filles et les garçons. Pour en revenir aux serpents, un peu affolée bien qu'incrédule, j'ai ajouté avec fermeté :

- Pas question ! les serpents sont parfois dangereux voire mortels, vous savez-bien ... et puis, vous n'avez pas le temps d'aller chercher des serpents maintenant.

J'étais encore naïve, en ce temps-là. u'à cela ne tienne, ils ont répondu, toujours en choeur :

- Mais on sait où il y en a !...

Et les voilà envolés.


Des attroupements dans la cour... des rires étouffés... des yeux qui me regardaient en coulisse et qui voulaient dire (je l'ai compris après) :" tu vas être épatée, Madame !" et tout à coup, les filles qui se mettent à crier et les garçons, radeux, qui sortent de leurs poches, des grappes de petits serpents qui leur couraient sur les bras, sur la poitrine ... qui tombaient à terre ... qu'on ramassait tout bêtement, et qu'on remettait dans sa poche.


Terrifiée, je leur ai crié :"mais ce sont peut-être des vipères !" et je voyais déjà tous mes petits en train d'agoniser. J'étais désespérée. Et eux de dire en riant : "Mais Madame, regardez comme ils sont gentils, ils nous connaissent, on a l'habitude !"


A peine si mes jambes pouvaient me porter, juste de quoi aller chercher du secours auprès du Maître, M. Germond. Aussi affolé que moi, mais plus efficace, il accourt avec un seau (celui qui servait à laver l'éponge du tableau) et une planche qui se trouvait là, fort heureusement. Et moi de crier très fort, pour me donner du courage :

"Mettez vite tout ça, là-dedans !"

Et vlan ! la planche par dessus.


- Personne n'a été mordu ? c'est sur ?


Mais non ! par bonheur ça n'étaient pas des serpents belliqueux. L'ennemi enfermé, on respirait déjà mieux. Avec M. Germond, on en a même profité pour essayer de bien s'assurer que ce n'étaient pas des vipères. Mais ça grouillait tellement dans le seau !  A première vue, ça n'en avait pas l'air... Si on en avait été très sûrs, on les aurait peut-être envoyés dans la prairie voisine, par-dessus le mur. Mais dans le doute, si petit soit-il,ça n'étaient pas des choses à faire. Alors M.Germond, pour soustraire ces horribles bestioles de ma vue et mettre fin à mes émotions eut l'ingénieuse idée d'emporter le seau dans sa classe qui se trouvait au premier étage. C'était par pure charité, et comme il n'était guère plus rassuré que moi, il eut une deuxième idée, non moins ingénieuse que la première (la suite va le prouver), ce fut de mettre le tout sur le balcon, c'est-à-dire le seau plein de serpents, recouvert de sa planche. Seulement voilà, la planche ne constituait pas un couvercle très hermétique, et un petit serpent, ça se faufile partout. Dans notre grande émotion, nous n'y avions pensé, ni l'un, ni l'autre.


Et c'est ainsi que le calme enfin revenu dans l'école, les maîtres ayant commencé leur classe, tout à coup, dans le silence, on entendit des cris, des cris à fendre l'âme. Et ces cris venaient de la place devant l'école. C'était Mme Gensac qui, passant sous le balcon pour rentrer chez elle, venait de recevoir des serpents sur la tête... Mettez-vous à sa place.


Texte manuscrit d'Yvette Roché pour l'exposition de 1988 sur les photos d'école au Revest.
Source : bulletin n°8 de 1988 de la Société des Amis du Vieux Revest et du Val d'Ardène


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