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❂ Le Groupe Revestois - Les cercles républicains



Source : Extrait du livre de Yves Rinaudo « Les vendanges de de la République », écrit en 1978
Publié dans le N°46 de mai 2007 du bulletin des Amis du Vieux Revest et du Val d'Ardène


Les Cercles : des cellules politiques vivantes


Les « partis politiques » nationaux, dans la mesure où ils s’organisent, et pas avant la fin du XIXe siècle, possèdent rarement des structures locales permanentes. Certes, « La République des comités » n’exclut pas le Var. Dès les premières élections, des comités électoraux radicaux fonctionnent et des congrès départementaux se réunissent, au Luc le plus souvent. Mais, précisément, l’activité de ces organismes, perceptible surtout en période électorale, reste trop épisodique pour rayonner avec ampleur. Les efforts des radicaux et radicaux-socialistes pour implanter un réseau hiérarchisé et durable de sections dans le département échouent, nous le verrons.


Seule, la S.F.I.O. parviendra à faire vivre ses créations, mais tardivement. Aussi, le rôle de relais et d’animation politique emprunte-t-il un autre canal : celui des sociétés, cercles et chambrées, dont la deuxième moitié du XIXe siècle voit précisément, ici et dans ce domaine, l’apogée.


Les vendanges de la République

La faveur, dont jouissent au XIXe siècle les chambrées et les cercles, nouvelles formes, maintenant laïcisées de cette sociabilité qui animait jadis les confréries, a déjà été soulignée (M. Agulhon). Cette laïcisation avait naturellement introduit dans ces groupes d’amis, réunis pour de « saines distractions » comme le proclamaient les statuts, les préoccupations profanes de la politique. L’accession à la reconnaissance officielle, moyennant le respect, au moins formel, de certaines conditions obligatoirement incluses dans les statuts, les fait sortir de la demi-clandestinité qui les caractérisait comme associations privées. Leur rôle dans la cité en fut accru, en particulier et malgré la loi, dans le domaine politique. Les pouvoirs publics relèveront maintes fois, avec résignation ou agacement, cette politisation croissante. Bornons-nous à la conclusion du rapport général adressé par le Préfet au Ministre de l’Intérieur, en décembre 1896, à propos d’une demande d’autorisation pour l’ouverture d’un cercle … radical, à Rians : « Il n’est que trop réel que la plupart de ces associations surtout dans le département du Var, où les passions ont un degré d’acuité exceptionnel, ne sont, à les considérer de près, que des groupements à tendance politique ».


Des exemples précis, multiples, vérifient ces appréciations générales. Au temps de l’Ordre Moral, de nombreux cercles, repérés et souvent dissous, affirment leur républicanisme : exhibition d’ «emblèmes et manifestations séditieuses » (Union Républicaine, Varages, 2 juin 1873 ; Saint-Clair, Barjols, lors de la fête patronale, 18 janvier 1874), lecture de journaux « cramoisis » (Le Muy, Vidauban), portraits, bustes et chants séditieux (Barbès) Blanqui : Saint-Clair, Barjols ; Gambetta, Barbès, Mirabeau, La Bastille : Union de Pourrières ; République coiffée d’un bonnet phrygien : Cercle des Agriculteurs, Cabasse, 1873, etc.…), propagande active (L’Union de Pourrières, 1875 ; Saint-Etienne, à Saint-Martin de Pallières, 1873). Bref, beaucoup ressemblent à l’Avenir, de Vidauban (1872) : « c’est un des cercles les plus actifs de la propagande révolutionnaire dans le département » regroupant jusqu’à 150 membres « appartenant à la fraction la plus avancée du parti radical ».


Après « la conquête de la République par les républicains », l’engagement républicain de nombreux cercles ne suscitant plus de difficultés, ce sont maintenant les cercles « blancs », jusque là acceptés, qui préoccupent les pouvoirs publics. Ils se voient alors reprocher une orientation politique souvent ancienne. Car la politisation des sociétés ne fut jamais sélective et il faut abandonner l’équation hâtive cercle = gauche. C’est ce que pensait déjà, en 1871, le maire de Tourrettes (« Il y a déjà deux cercles ou chambres, comme d’habitude d’opinions opposées »), d’accord sur ce point avec le postulant à la présidence de l’Union à créer (« Il existe dans tous les villages environnants des cercles soit républicains soit royalistes »). Les Cercles de Provence que l’on retrouve dans de nombreuses communes sont notoirement « blancs ». A Hyères, on compte parmi les membres fondateurs H. de Belcastel, député, de David-Beauregard, le Comte de Guichen, de Boutiny, et de Beauregard, curé de Giens (février 1873). Le Cercle de Provence de Pourrières (1872) soutient le maire réactionnaire. Le président de celui de Lorgues (mars 1874) explique au Préfet que « c’est un cercle de moralisation pour les ouvriers … qui veut soustraire l’ouvrier à des influences funestes … et œuvrer au rétablissement de l’ordre moral ». Il compte parmi ses membres le maire, de Roux, le baron de Rasque de Laval, le vicomte d’Inguimbert, le comte des Isnard, de Juigné de Lassigny, le comte de Selles. Au cercle de l’Harmonie, à Solliès-Toucas, « quelques-uns en sont encore à regretter l’Empire ». A Hyères comme à Ollioules, des cercles catholiques affirment leur vocation « d’édification mutuelle des catholiques » mais regroupent des notables hostiles à la République.


En 1863, le conseil municipal de Nans dénonce le Cercle d’Apollon. Celui-ci a tenté de saboter la fête locale, type d’action qui ponctue fréquemment la rivalité politique dans les petites communes, en organisant un bal concurrent, « afin d’ameuter la population, exaspérer les républicains et jouer leur va-tout ». Depuis vingt ans, ce cercle, qui a expulsé les membres républicains, sème le trouble, il vise à « inspirer le respect à tous ceux qui méprisent tout ce qui vient de la République et ce qui est républicain … C’est là que se trament (sic) tous les complots où le nid (sic) de la réaction se trouve établi à l’abri de tout contrôle en réunion occulte conspirant contre le Gouvernement de la République ». Plus tard encore, des cercles d’Etudes Sociales, comme celui de La Martre (fondé en 1904), restent dominés par « de bons chrétiens », hostiles à la législation républicaine.


A ces témoignages d’une politisation non sélective, s’ajoutent d’autres confirmations : celle des noms et, plus encore, celle des statuts. Voici, à titre d’exemples, quelques articles de règlement du Cercle démocratique de Sanary, autorisé en novembre 1878 : « article 4 : … Par la fraternité bien entendue de tous ses membres, le Cercle deviendra le centre d’une amitié républicaine inattaquable. Au surplus, la commission se tiendra toujours sur la brèche, prête à repousser par tous les moyens en son pouvoir toute attaque calomnieuse ou antirépublicaine de quelque part qu’elle vienne …


« Article 5 : … La mission la plus élevée sera de grouper en un seul faisceau tous les républicains du canton d’Ollioules … ». L’article 6 déclare que le cercle « voulant conserver intacts les sentiments républicains qui l’animent », les antirépublicains ne seront pas admis ; les membres qui se révèleront antirépublicains seront expulsés (article 7). Enfin, l’article 14 fait une obligation de l’assistance « en corps à toute cérémonie démocratique, comme la réception d’un sénateur, d’un député ou d’une autorité républicaine quelconque », avec port d’un insigne républicain distinctif. La date, proche encore de l’ardeur soulevée par le « coup d’état de Mac Mahon », le succès des républicains, gage d’impunité, expliquent peut-être le caractère très engagé, agressif, de ces statuts qui font du cercle un outil de défense et de propagande républicaines. Exemple d’aveu complet de politisation, qui n’est pas unique, si ce n’est par sa volonté presque provocatrice.


Moins agressive, la simple obligation de célébrer les fêtes du calendrier républicain n’est cependant pas neutre (comme les cercles du 14 juillet, Evenos 1883, Ollioules 1885, etc…). De leur côté, les « Blancs » sont souvent plus prudents, proposant le respect pour la Religion, la Famille, la Propriété (Cercle Saint-Joseph, Seillans, 1871 ; l’Univers, Saint-Maximin, 1872). D’autres sont simplement conservateurs comme ce Cercle Saint-Joseph de Pourrières (1882), qui impose à ses adhérents de « voter pour le candidat du gouvernement ».


Ainsi, l’ampleur de la politisation est indiscutable et les cercles ne sont pas seuls concernés. Sans revenir sur le mouvement syndical et coopératif, il faut encore mentionner les « musiques », elles aussi divisées et « engagées au cœur des luttes politiques » : à Pourrières (L’Avenir et l’Union républicaine, 1879), à Saint-Zacharie (1877), à Sanary (1878), à Montfort (1881), à Lorgues (1884).


Pour aller plus loin au sujet des Cercles Républicains

Les cercles, par Maurice Agulhon

Les Cercles, Une Sociabilité en Provence, par Pierre Chabert, éd. Publications de l’Université de Provence, 283 pp. 29 €, ISBN 2-85399-634-4

Chambrettes des Provençaux, une Maison des Hommes en Méditerranée Septentrionale, par Lucienne Roubin (voir compte-rendu)

Les cafés républicains de Paris, par Jérôme Grévy. Voir là.


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