🎍 Agriculture - Fours à cade
Les fours à cade en Provence
Source : Texte du Dr Laurent Porte - Bulletin des Amis du Vieux Revest et du Val d'Ardène - numéro 11-Mai 1989
Le cade ou juniperus oxycedrus, genévrier oxycèdre, cèdre piquant, fait partie de la famille des conifères, genre genévrier, dont trois espèces sont répandues dans nos régions, soit, outre le cade, le genévrier (juniperus vulgaris ou communis) et le « mourven » ou genévrier de Phénicie qui a la particularité de ne pas piquer. Le caractère commun aux trois espèces est d’avoir des baies qui mettent deux ans à mûrir. Ces baies sont de petite taille, quatre millimètres de diamètre, de couleur bleu-noir chez le genévrier, deux fois plus grosses environ et de teinte marron chez le cade et le mourven.
La grande longévité du cade lui permet de dépasser dix mètres de hauteur. Le plus gros que nous avons rencontré mesure 1,60 m de circonférence, mais l’histoire a gardé le souvenir d’un cade à Salinelles (Gard) de 4,30 m de tour, détruit par la foudre vers 1920.
Seul l’oxycèdre donne de l’huile par combustion incomplète de son bois. Cette huile est un liquide brun foncé avec, par agitation, des reflets rouges, d’odeur forte rappelant le goudron fumant, aux propriétés médicinales exceptionnelles.
Utilisée de longue date par les Provençales à raison de quelques gouttes dans une bassine d’eau pour se rincer les cheveux, elle est actuellement à la base de shampoings de toutes les grandes marques.
En médecine humaine, elle fut un produit majeur en dermatologie jusqu’à la découverte en 1935 des sulfamides puis des antibiotiques fongiques. Elle est encore employée dans certaines indications en préparations concentrées.
En soin vétérinaire, elle était souveraine contre la gale et les teignes animales, précieuse dans les affections des sabots, le « crapaud » des chevaux et le « piétin » du mouton. De nos jours, tous les bergers et les éleveurs l’utilisent largement. Elle est excellente pour raffermir les coussinets des pattes des chiens.
L’huile était fabriquée dans nos régions dans des fours en grosses pierres sèches, massifs, de 2,50 à 3 mètres de hauteur en état de marche, 2,70 à 4 mètres de large, 5 à 7 mètres de longueur. Ceux qu’on retrouve aujourd’hui ont toujours perdu de leur hauteur, mais nous en connaissons de nombreux qui dépassent encore 2 mètres. La face frontale présente en son milieu une vaste niche, couloir ordinairement long de 1,30 à 1,50 m qui mène à l’orifice de sortie de l’huile dénommé « la porte », dont le plancher est constitué par un moellon de 33 cm de côté, incliné et légèrement débordant afin de conduire l’huile dans une cornue placée au-dessous.
Les faces latérales du four sont rectilignes et verticales. Au centre de la structure, une fosse grossièrement arrondie est délimitée par un autre mur en pierres sèches, qui s’incurve en voûte sur l’arrière pour ménager l’espace dévolu au foyer.
Entre les murs externe et interne un colmatage de terre assurait étanchéité et isolation thermique.
Dans la fosse, était édifié en briquettes réfractaires l’organe de distillation qui reposait sur le grand carreau basal, et qui avait une hauteur moyenne de 1,70 m et la forme d’une jarre renversée, d’où le nom de « fabi », qui pouvait contenir 150 à 250 kg de bois selon la taille.
Le bois de cade était récolté par section de l’arbre à la base et extraction de la souche au pic, puis débité en bûchettes de 15 à 20 cm.
Les fours étaient allumés à l’automne, après les vendanges, pour prévenir les incendies. Le « fabi », après obturation de la « porte » par un grand carreau vertical, était rempli de bûchettes, puis fermé par une pierre plate.
Le foyer était bourré de tous les bois disponibles, ce qui nettoyait la forêt. La chauffe durait 24 heures et produisait de 15 à 25 litres d’huile selon la taille des fours et les qualités du bois. Le four marchait sans interruption pendant 4 à 6 semaines, l’huile était versée dans des tonneaux de 200 litres environ.
La durée d’utilisation d’un four était de 3 ans en moyenne.
Notre enquête, poursuivie pendant 7 ans, a permis de recenser 173 fours. Commencée dans les cantons du sud-ouest varois, nous l’avons élargie aux départements voisins, ce qui a ajouté aux 162 fours situés au sud de la chaîne de la Sainte-Baume, 1 à Nans-les-Pins et 10 dans les Bouches-du-Rhône. Il est remarquable que la totalité des fours soit située dans des communes limitrophes.
En ce qui concerne le Revest, M. Pierre Trofimoff m’avait aimablement informé de mentions de plusieurs fours à cade relevées sur la commune dans ses recherches historiques. Malheureusement tous les nombreux contacts que j’ai pu avoir avec des personnes qualifiées à divers titres n’ont pu aboutir à la découverte de fours, sans toutefois être totalement négatives.
Outre plusieurs fours à chaux, j’ai pu ainsi connaître 2 bories intéressantes, l’une type abri de berger que m’ont indiqué les « Amis du Vieux Revest », au sud-ouest des Olivières, l’autre magnifique, en énormes pierres de taille, en partie enterrée volontairement pour former un abri contre les projections de mines de la carrière, au quartier Fiéraquet où j’ai été conduit par M. Marius Long.
Le four à cade du Grand Cap
Mais comme le hasard sourit parfois aux êtres passionnés, je suis tombé sur un four à cade, qui avait échappé même aux chasseurs de sangliers. Il se trouve au lieu dit « le col de Tourris » dans le Grand Cap. Il ne mesure que 1,40 m de haut, la fosse est comblée de terre et de pierres, mais le couloir est intact. Les ruines de l’abri sont visibles 10 m au nord. Il a été construit par Paulin Olivier entre 1902 et 1914, période pendant laquelle il a édifié également 2 fours à Solliès-Toucas (à la Tourne et aux Pourraques) et 1 à Solliès-Ville où il résidait. Il avait appris le métier avec son père Jean-Baptiste qui le tenait de sa belle-famille Hermitte du Broussan.
Pourquoi ne retrouve-t-on pas plus de vestiges au Revest alors que les documents bibliographiques en portent témoignage ? Bien sûr, d’autres fours peuvent nous avoir échappé, enfouis dans la végétation. Je crois plutôt que les mentions font référence à des types de fours plus rudimentaires, plus anciens, sortes de fosses dans lesquelles on traitait indifféremment du bois de pin pour obtenir de la poix ou du cade pour fabriquer l’huile. Ou peut-être encore au procédé de la « marmite » qui consistait à renverser sur une grande pierre un récipient en fonte rempli en force de bûchettes de cade, puis allumer un feu ardent autour. La pierre, calcaire de notre région, se transformait rapidement en chaux et s’effritait.
Notre but est de sortir de l’abîme de l’oubli ce qui fut dans nos cantons une véritable industrie.
Le constructeur du four à cade du Grand Cap : Paulin Olivier.
(photo prise vers 1920 devant un autre four dans la plaine des Selves)
LES FOURS A CADE EN PROVENCE
Origine fortuite de ce livre
Un certain soir d’octobre 1981, deux charmantes archéologues se délectaient de morceaux de « cade » achetés Cours Lafayette à Toulon. J’eus l’imprudence de leur expliquer que ce gâteau d’origine italienne était fait de farine de pois chiches et d’huile d’olive, et non pas d’huile de cade, parfaitement incomestible, produite autrefois dans des fours dont j’avais connu quatre exemplaires dans ma lointaine jeunesse. Elles s’en ouvrirent aussitôt à M. Ribot, animateur de la Section archéologique de Sanary qui, après une excursion pour retrouver ces quatre fours, m’a invité avec une insistance persuasive à faire une prospection systématique dans les argélas et autres ronces ou kermès avant que ces témoignages disparaissent.
Effectivement la fabrication de l’huile de cade est presque complètement oubliée alors qu’elle fut un produit de base de la pharmacopée tant humaine que vétérinaire, et ces fours furent très actifs jusqu’aux années 1930.
Couverture livre sur les fours à cade
Couverture de l’édition originale de 1990 du livre de Laurent Porte « Fours à cade »
Sources : Préambule de Laurent Porte dans « Les Fours à cade », éditions Les Alpes de Lumière