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☨ La Résistance sous l'occupation allemande - Les interventions du Groupe Dionisi, selon un entretien avec Lucien Scolca



En 1944, les résistants du Groupe Dionisi attaquent le château de la Ripelle et la boulangerie allemande de Dardennes

Entretien avec Lucien Scolca



Les Amis du Vieux Revest : Il est évident que vous êtes plutôt jeune par rapport à de nombreux combattants de la guerre 1939/45.

Lucien Scolca : C’est exact, je suis rentré dans la Résistance en 1943, je n’avais pas 17 ans.


AVR : Comment avez-vous contacté la résistance ?

Lucien Scolca : J’habitais au Fort Rouge. Lors des alertes, pendant les bombardements, nous nous abritions dans une grotte sur les pentes du Faron. C’est là qu’un jour j’ai rencontré deux jeunes qui m’ont dit qu’ils étaient résistants : j’ai proposé mes services. Á cause de mon jeune âge, ils ont refusé. J’ai dû insister en faisant remarquer que je pouvais être utile, par exemple, comme agent de liaison. J’ai donc pu rejoindre un groupe, celui de Dionisi qui appartenait à la 13ème Compagnie des F.F.I. du Var.


AVR : Rejoindre le maquis, est-ce rejoindre une armée secrète avec des règles de vie très militaires ?

Lucien Scolca : Absolument pas. Á partir de 1943, nous étions une quinzaine dans un cabanon qui se trouvait dans l’actuel lotissement de la Grenette, à gauche de la route qui monte à la Tourevelle. Nous vivions tantôt dans ce cabanon, tantôt dans nos familles. A partir de mai-juin 1944, nous sommes restés en permanence dans ce lieu entouré d’oliviers, d’où le nom que nous avions pris : « Le Maquis des Oliviers ». Il n’y avait pas de règle stricte si ce n’est celle de la prudence et du silence. Mais la nuit, nous avions notre tour de garde.

 

Le Groupe Dionisi à la Tourrevelle

 


AVR : Aujourd’hui, cet endroit paraît être très proche de Toulon !

Lucien Scolca : Aujourd’hui, oui. Mais à cette époque, c’était le bout du monde. Les conditions de vie dans ce cabanon étaient d’ailleurs très précaires. L’inconfort était total.


AVR : Quels étaient vos moyens militaires ?

Lucien Scolca : Ridicules. Quelques vieux fusils, quelques vieux pistolets, quelques Sten et un fusil mitrailleur. Il a fallu attendre la prise de la boulangerie allemande de Dardennes pour que nous soyons vraiment armés. Nous cachions d’ailleurs une partie de nos armes dans une carrière qui se trouvait à l’angle de la route de la Tourevelle et de la route du barrage, sous de grandes pierres plates.


AVR : Le Groupe Dionisi était-il intégré à l’ensemble du mouvement de la Résistance ?

Lucien Scolca : Ce que je sais, c’est qu’après le décrochage du maquis de Siou-Blanc, sur l’ordre de Salvatori, des groupes sont partis dans toutes les directions, certains au Revest, d’autres à Dardennes dont Dionisi.


AVR : En août 1944, vous participiez à la libération de la vallée, comment cela s’est-il passé ?

Lucien Scolca : Les Allemands tiraient du Faron des obus de mortier dans la vallée. En bas, ils étaient rassemblés par endroits où nous les attaquions. Il y avait le Premier Bataillon de Choc, le 3ème Régiment des Tirailleurs Algériens (3ème R.T.A.) et quelques résistants. Nous faisions le coup de feu, puis nous partions. Cela allait très vite.


AVR : Les combats ont-ils été durs ?

Lucien Scolca : C’était une guerre, parfois les combats étaient violents, parfois les Allemands se rendaient facilement, peut-être fatigués par cette guerre. Mais il y eut aussi des actes indignes de leur part. Sur la route actuelle de la cité Lambert, des soldats allemands se sont avancés les bras en l’air, comme pour se rendre. Les soldats français se sont découverts. Des soldats allemands ont alors plongé au sol et d’autres Allemands, cachés, ont tiré à la mitraillette tuant quelques français. Nous avons riposté au lance-flammes.


AVR : Et puis ce fut le tour de la boulangerie allemande de Dardennes ?
Lucien Scolca : Oui. Nous sommes descendus par la rivière jusqu’à Dardennes. Nous étions avec le 1er Bataillon de Choc.
Trofimoff : Effectivement, j’ai rencontré alors le capitaine Torri. Il avait soif, je lui ai donné de l’eau.
Lucien Scolca : C’était le point le plus avancé du 1er Bataillon de Choc. Nous devions occuper la maison des Monteux qui était en haut d’une petite colline.
Trofimoff : J’ai conduit le capitaine Torri accompagné de deux Algériens par le portail en bois de la propriété des Monteux.
Lucien Scolca : Nous sommes restés deux jours et deux nuits dans cette maison vide. Dès le début, un soldat du 1er Bataillon de Choc en voulant regarder par une fenêtre a reçu une balle en pleine tête. Il a agonisé à nos cotés pendant ces deux jours : c’était horrible.
Trofimoff : La maison était vide car les Monteux avaient été dénoncés aux Allemands en raison de leur appartenance religieuse. Ils étaient partis à vélo quelques jours avant la venue des Allemands dans leur maison.

Lucien Scolca : Nous voulions attaquer la boulangerie qui se trouvait en contrebas, mais l’officier du 1er Bataillon de Choc avait ordre de garder ce point d’observation et non pas d’attaquer la boulangerie. Il refusa de venir avec nous. Le groupe Dionisi a donc attaqué seul.


AVR : Vous avez attaqué sans connaître ?
Lucien Scolca : Nous connaissions bien car l’un des nôtres, Montaperto, était coiffeur et était venu souvent couper les cheveux aux Allemands dans la boulangerie allemande. Nous avons attaqué à l’aube. Les Allemands étaient à droite en rentrant. C’est Pescatore qui a tiré le premier en détruisant le portail en bois avec son fusil mitrailleur. Le combat a été bref car les Allemands ont été surpris. Nous n’avons pas eu  de perte, les Allemands un ou deux blessés.
Trofimoff : Je me souviens parfaitement, après, de la distribution de pain et de farine. Nous n’avions plus rien depuis quelque temps au hameau.

Lucien Scolca : Nous avons distribué le pain et la farine à de nombreuses personnes qui habitaient les grottes en bordure de la rivière. Je me souviens d’un homme âgé qui a voulu emporter un sac de 100 K de farine. Il a plié sous le poids, mais est quand même parti avec son sac.



AVR : Et puis ce fut la destruction du char ?

Lucien Scolca : Oui. Deux chars Allemands sont passés devant l’entrée de Dardennes. Le 1er Bataillon de Choc avait un canon sans recul en poste. C’est ce canon qui a détruit le char. L’équipage du char a brûlé vif, c’était affreux. Le second char a continué vers la Poudrière.

 


AVR : Vous avez alors quitté Dardennes pour la Poudrière ?

Lucien Scolca : Non. Nous sommes restés au hameau. Nous avions trouvé un lapin et avions demandé au boulanger du hameau de nous le faire cuire. C’est ce qu’il fit devant sa boulangerie. Les obus de mortier, tirés du Faron, ont interrompu notre repas. Nous nous sommes cachés dans le béal, les pieds dans l’eau. Quand nous sommes ressortis, les obus avaient détruit le foyer où cuisait notre lapin. Il y eu d’ailleurs des morts parmi la population.

 


AVR : Et puis ce fut la libération du château de la Ripelle ?

Lucien Scolca : Un officier (du 1er Bataillon de Choc ou du 3ème R.T.A. ?) nous a demandé de participer à cette attaque. Il a d’ailleurs été agressif à notre égard : « Ceux qui veulent venir, viennent, les autres restent ! ». Nous lui avons rappelé que nous combattions déjà depuis longtemps et que nous irions tous. Nous étions nombreux autour du château. C’était un hôpital, avec sa grande croix rouge. Des coups de feu étaient tirés de cet hôpital, c’était la raison de notre attaque. Le combat a duré de 1 heure à 1 heure 30. Les Allemands se sont rendus. Á l’intérieur, il y avait des médecins et des infirmières sans arme, soignant, opérant des soldats Allemands. Mais il y avait surtout des Mongols qui avaient jeté au sol des blessés Allemands pour leurs prendre les matelas qu’ils avaient mis en protection aux fenêtres. C’étaient eux qui tiraient. Quand je suis rentré dans le château, un Mongol, les bras en l’air, a voulu me donner des cigarettes en me disant : »Camarade ». Alors qu’il venait de nous tirer dessus, voilà qu’il voulait que nous soyons camarades ! J’ai écrasé au sol son paquet de cigarettes et lui ai mis mon fusil sous le menton, il a compris et s’est tu. Il faut se rappeler que les Mongols étaient recrutés par les Allemands pour s’occuper spécialement des résistants.


AVR : Avez-vous eu beaucoup de pertes ?

Lucien Scolca : Non, aucune. Seuls les Mongols voulaient se battre. D’ailleurs les médecins Allemands ne voulaient absolument pas transformer cet hôpital en camp retranché.


AVR : Vous êtes alors descendu à la Poudrière ?

Lucien Scolca : Nous avons pris la route de la Poudrière. En chemin, avec l’aide de l’armée, nous avons maîtrisé les soldats Allemands qui devaient faire sauter le pont de Saint Pierre. Il y avait de gros obus, reliés par des fils électriques et de l’explosif.


AVR : Á la Poudrière, les combats étaient violents ?

Lucien Scolca : Oui. Il y avait une grosse concentration de militaires français. Ils avaient tout tenté contre les portes blindées. Ils avaient même collé des explosifs magnétiques sur les portes, mais en vain. Le groupe Dionisi n’était qu’observateur. Nous étions en face, de l’autre côté de la rivière.


AVR : Et puis ce fut l’explosion ?

Lucien Scolca : D’une violence inouïe. Nous avons été projetés au sol, les uns sur les autres. Des blocs de rochers ont volé très haut. Cela a dû faire 300 ou 400 tués. Les corps étaient déchiquetés. C’était l’une des quatre galeries qui a été détruite. Nous ne saurons jamais qui a fait exploser cette galerie. Mais je pense qu’un char français a réussi à toucher une mine marine, mine de grande taille, stockée à l’intérieur et cela lorsque les Allemands ont ouvert leur porte pour laisser tirer au canon leurs propres chars. Je ne vois pas d’autre explication.

 

La poudrière après l'explosion
La poudrière après l'explosion

 

Trofimoff : J’étais chez moi quand la Poudrière a explosé, la terre a tremblé, j’ai été soulevé par le souffle, un immense nuage de poussière est monté. Une locomotive est restée longtemps en travers de la route.
Lucien Scolca : La locomotive a été éjectée de la  Poudrière à travers le mur d’enceinte.
Trofimoff : Le moulin qui se trouvait en face a été entièrement détruit.
Lucien Scolca : Je me souviens de trois Allemands gravement mutilés sous le pont en bois, en face de l’entrée. L’un d’entre eux souffrait horriblement. Il nous a fait comprendre avec les mains qu’il souhaitait qu’on l’achève d’une balle dans la tête. Malgré leurs états désespérés, ils ont été brancardés par les militaires français en direction d’un hôpital. Parmi les victimes, il y avait des civils.

Trofimoff : Peut-être des requis du S.T.O. ?


AVR : La prise de la Poudrière marque la fin de votre engagement dans la vallée ?

Lucien Scolca : Non, pas tout à fait. Le groupe Dionisi avait la garde de la Poudrière. Une de ses galeries contenait des stocks de nourriture : soupe en conserve, beurre et pain en boîte, miel, lait concentré et même whisky. Nous avions une petite table devant l’une des portes de la Poudrière et nous notions sur un cahier les noms des familles à qui nous distribuions ces conserves pour éviter les abus, mais sincèrement ce cahier était bidon ! Le 3ème R.T.A. et le Bataillon de Choc avaient pour mission la prise du Faron toujours occupé par les Allemands. Un officier cherchait un guide pour les conduire en voiture : je me suis proposé. L’officier m’affirma avant de partir que ses hommes auraient pris les forts avant notre arrivée. J’étais avec un Algérien, dans la Jeep en tête de la colonne de véhicules. De gros obus tombaient autour de nous. Ils étaient tirés de Saint-Mandrier. Ils mirent le feu au Faron. J’étais inquiet car les coups tombaient près. L’Algérien qui conduisait la Jeep riait et me dit que l’on passerait. Ce fut le cas. Au sommet, les autres militaires français avaient neutralisé les Allemands, parfois à l’arme blanche. Au début de la montée du Faron, pendant quelques minutes, j’ai arrêté la colonne pour dire bonjour à ma mère que je n’avais pas vue depuis trois mois et lui remettre un peu de nourriture. Certains officiers n’ont pas apprécié !


AVR : Quelque temps après, vous avez trouvé le charnier du vallon de la Rouvière ?

Lucien Scolca : Il s’agissait de dix résistants. Ils avaient été pris trois mois avant la Libération. Les Allemands les avaient torturés, leur avaient fait creuser leur tombe et puis les avaient fusillés à la mitraillette. Certains d’entre eux n’avaient été que blessés et sont morts enterrés vivants. C’est un médecin qui était avec nous qui s’en est rendu compte. Ils n’appartenaient pas à notre groupe, mais c’était nos amis d’enfance. Nous les avons veillés toute une nuit dans une ferme.

 

Sources : Entretien de Lucien Scolca avec Claude Chesnaud, Bulletin des Amis du Vieux Revest  n°20, août 1986.


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