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🛡 Le blason du Revest - La règlementation du port des armoiries



Source - Pierre-Jean Ciaudo . L'application de l'édit de novembre 1696 dans la région grassoise. (1ère partie sur La règlementation du port des armoiries) In: Cahiers de la Méditerranée, n°15, 1, 1977. Grasse et sa région. pp. 49-73. Licence Creative Commons - DOI : https://doi.org/10.3406/camed.1977.1441

 

L'édit de novembre 1696, "portant création d'une Grande Maîtrise, établissement d'un Armorial général à Paris et Création de plusieurs maîtrises particulières dans les provinces" constitue la seule ingérence du pouvoir royal, en France, dans la réglementation de la capacité héraldique. Celle-ci, qui est la possibilité pour une personne de choisir des armoiries et d'en faire usage pour ses propres besoins, a toujours été libre et universelle. Toute personne, quelle que soit son origine sociale ou sa profession, a donc pu pendant l'Ancien Régime utiliser le blason de ses ancêtres ou de son choix, à une seule condition, ne pas usurper celui d'autrui.

 

Ce caractère non ségrégationniste de la capacité héraldique est présent dès la naissance des armoiries qui apparaissent, en Occident, au début du Xlle siècle. Bien que leurs racines soient guerrières, et donc nobiliaires, elles se généralisent à l'ensemble de la société dès le XlIIe siècle où l'on connaît des bourgeois, puis au XlVe des paysans, qui les utilisent pour sceller leurs contrats. D'abord signe de reconnaissance dans les combats, puis expression sigillaire pour l'authentification des actes juridiques, leur extension est telle qu'elles deviennent même des marques de fabrique pour les artisans.

 

La classe nobiliaire jalouse de ses prérogatives et très attachée aux marques d'honneur, d'autant plus qu'elle a perdu la réalité du pouvoir politique, va protester contre ce prétendu abus du droit héraldique. Notamment, lors des États généraux de 1614, elle émet des réprobations sur l'usage qu'en font les roturiers. Certains juristes, parmi lesquels l'illustre Charles Loyseau, formalisent ces récriminations et soutiennent que seuls les nobles devraient être admis au port des armoiries et que seuls les souverains pourraient en concéder. C'est là l'une des expressions de l'exaltation du pouvoir royal de droit divin : seul le roi qui tient son pouvoir de Dieu peut dispenser des honneurs, et donc, les armoiries qui en sont un.

 

Cette théorie ne trouve guère d'écho sinon dans les milieux nobiliaires qui obtiennent la création de l'office de juge d'armes par édit de juin 1615. Le juge d'armes de France n'a pourtant que des attributions très restreintes, réglant les armoiries des nouveaux anoblis et ayant plus un rôle généalogique que juridictionnel.

 

Cependant, à la fin du XVIIe siècle, le Trésor Royal, épuisé par la guerre de la Ligue d'Augsbourg, oblige les contrôleurs généraux des Finances à des prouesses d'ingéniosité pour l'alimenter. Pontchartrain a l'idée, pour sa part, de vendre des blasons. Ce fut l'objet de l'édit de novembre 1696 que nous étudierons dans ses principes avant de voir l'application qui en fut faite dans la sénéchaussée de Grasse.

 

La réglementation du port des armoiries

 

Blasons locaux dans l'armorial de 1696
Blasons locaux dans l'armorial de 1696

 

Tel est bien le but avoué dans le préambule de l'édit de novembre 1696 : "retrancher les abus qui s'estoient glissez dans le port des armoiries, et de prévenir ceux qui s'y pourroient introduire dans les suites". C'est pourquoi des institutions originales sont créées avec des attributions précises. Mais les résultats attendus n'étant pas atteints, la réglementation initiale va subir une évolution autoritaire et contraignante.

 

A - La réglementation initiale

L'édit introduit une novation sans précédent dans le droit héraldique français. Sous prétexte de réglementer le port des armoiries, il va limiter la capacité héraldique aux seules personnes qui auront fait enregistrer leurs armes sur les registres de l'Armorial Général de France établis par les Maîtrises, après avoir payé un droit d'enregistrement.

 

1. Les Maîtrises

 

L'office de juge d'Armes de France est supprimé et les articles 2 et 3 créent une Grande Maîtrise à Paris, et l'article 4 des maîtrises particulières dans les provinces.

 

La Grande Maîtrise, à laquelle est agrégée la maîtrise particulière de la ville de Paris se compose d'un grand Maître, un grand Bailli et sénéchal, un lieutenant particulier, un garde de l'Armorial (Charles d'Hozier nommé par arrêt du Conseil du 18 décembre 1696), dix commissaires, un procureur général et son substitut, un secrétaire et greffier, un Trésorier Receveur des gages et droits d'enregistrement et son contrôleur, qui ont tous droit au titre de conseiller, et de plus un héraut ou Grand Audiencier, huit huissiers ordinaires, huit Procureurs.

 

Les maîtrises particulières, dont le roi devait fixer le nombre définitif, sont composées d'un Maître particulier, d'un Lieutenant, un Procureur, tous trois conseillers, un Greffier et Receveur des gages et droits d'enregistrements, un Premier Huissier, deux huissiers ordinaires, trois procureurs.

 

Tous ces postes sont des offices achetés par leurs titulaires qui en deviennent propriétaires une fois qu'ils les ont levés. Les maîtrises ont des attributions à la fois juridictionnelles, administratives et financières.

 

Les maîtrises particulières connaissent en première instance tous les différents héraldiques et les problèmes posés par l'application de l'Édit. Leurs décisions peuvent faire l'objet d'un appel devant la Grande Maîtrise qui est la juridiction d'appel et de dernier ressort mais qui connaît en première instance les affaires de la Maîtrise de Paris. Tous les autres "officiers et juges" ne peuvent se prononcer sur les différents héraldiques mais le Conseil du Roi peut toujours être saisi.

 

Les maîtrises sont chargées de l'application de l'Édit et des arrêts du Conseil en matière héraldique. Les officiers examinent les armoiries qui leur sont présentées et s'assurent qu'elles respectent les règles héraldiques, ils les transmettent ensuite à la Grande Maîtrise où le Garde de l'Armorial les enregistre, puis il envoie les brevets.

 

Les officiers des maîtrises remettent les brevets aux particuliers et perçoivent les droits prévus au tarif. Ils recouvrent également les amendes prises à l'encontre des contrevenants.

 

2. Les personnes soumises à l'enregistrement et la procédure

 

Les articles 6 à 8 de l'édit énumèrent les personnes qui peuvent procéder à l'enregistrement de leurs armoiries. On y trouve donc les nobles, les officiers de robe et d'épée, les ecclésiastiques, les gens du clergé, les bourgeois "et autres qui jouissent, à cause de leurs charges, états et emplois de quelques exemptions, privilèges et droits publics". Ce qui semble être une limitation très importante de la capacité héraldique, mais on inclut, de plus, "les personnes de lettres et autres qui, par la noblesse de leur profession et de leur art, ou par leur mérite personnel, tiennent un rang d'honneur et de distinction dans nos États et dans leurs Corps, Compagnies et communautés". Cette formule imprécise permet de n'exclure personne de la capacité héraldique. Outre les personnes physiques, les personnes morales sont invitées à enregistrer : "Provinces, pays d'États, Gouvernements, Villes, Terres, Seigneuries, Archevechéz, Chapitres et Abbayes, Prieuréz et autres Bénéfices, Compagnies, Corps et Communautéz" .

 

Deux mois, au plus tard, après publication de l'édit, les armoiries doivent être présentées dans les maîtrises particulières qui les envoient, après avis, à la Grande Maîtrise pour être enregistrées à l'Armorial général. Le Garde de l'Armorial renvoie les brevets d'armoiries aux officiers des maîtrises particulières qui les remettent aux intéressés et perçoivent les droits d'enregistrement. Ces brevets comportent le dessin et la description des armoiries enregistrées, mais comme le précise l'article 15 ils ne peuvent "en aucun cas être tirés à conséquence pour preuve de noblesse" .

 

Les droits d'enregistrement sont détaillés au tarif du 20 novembre 1696 et sont augmentés des frais de peinture et d'expédition fixés à 30 sols. Le tarif fixe à 20 livres les droits dus par l'ensemble des particuliers, mais les personnes morales paient des droits progressifs en fonction de leur importance.

 

Passé le délai de deux mois, toute personne usant d'un blason non enregistré est passible d'une amende de 300 livres et de la confiscation des meubles sur lesquels il figure. Sont soumises aux mêmes peines, celles qui usurpent les armes d' autrui ou qui modifient celles qui ont été enregistrées, ou celles qui se servent d'un cachet non enregistré pour sceller des actes publics.

 

B - L'évolution coercitive

 

L'enregistrement de l'édit se fait sans aucun problème au Parlement de Paris, le 28 novembre 1696 après avoir eu lieu à la Chambre des comptes le 26 et à la Cour des Aides le 27. Il peut alors être mis en application. Après une période de mise en place très décevante, le pouvoir royal va prendre des mesures incitatives pour augmenter le nombre des enregistrements, puis sera contraint de procéder à une véritable coercition avant d'abandonner face à l'échec.

 

1. La mise en place

Après son enregistrement au Parlement, l'impression et la diffusion de l'édit sont confiées à deux imprimeurs parisiens Estienne Michallet et François Muguet qui en assurent la publication.

 

En attendant que les divers offices soient levés, l'article 25 de l'édit prévoit la nomination de commissaires, par le roi, pour accomplir les fonctions des officiers. De plus, un arrêt du conseil du 20 novembre 1696 afferme l'édit au sieur Adrien Vannier, bourgeois de Paris, chargé du recouvrement des droits et de la vente des offices.

 

La concession à ferme traite pour 7 millions de livres avec remise du sixième et deux sols par livre. Il devait donc revenir au Trésor 5 833. 33 livres 13 sols et 4 deniers et à Vannier, le reste, soit 1 166 666 livres 6 sols et 8 deniers. Si les recettes venaient à excéder les 7 millions, elles étaient versées au Trésor après remise. Les frais annexes de peinture et expédition fixés à 30 sols par blason sont encaissés par Vannier.

 

Le traité prévoit les modalités de paiement au Trésor. Vannier doit verser 1 200 000 livres, comptant, le reste étant échelonné en douze versements égaux de 386 111 livres dont le premier est fixé au 1er janvier 1697 et les autres intervenant tous les deux mois. Le Roi s'assure des garanties et 19 personnes donnent leur aval au traitant.

 

Adrien Vannier prend le titre de "Directeur du traité des armoiries" et reçoit, à compter du 1er janvier 1697, les 180 000 livres de gages attribués aux offices, et prévus à l'article 18 de l'édit, en attendant leur placement, sous réserve de payer les commissaires. Ce qui est confirmé par un arrêt du conseil du 26 février 1697.

 

Les intendants sont provisoirement chargés de l'exécution de l'édit dans les provinces et les bureaux commencent à fonctionner en janvier 1697.

 

2. Les mesures incitatives

 

Devant le faible succès de l'édit (aucun office ne trouve acquéreur et très peu de personnes enregistrent leurs armoiries) une série d'arrêts du Conseil va essayer de renforcer la réglementation initiale pour augmenter le nombre des "redevables".

 

Le premier est celui du 22 janvier 1697 qui proroge de deux mois supplémentaires le délai d'enregistrement. Il oblige, également, les veuves non remariées et les femmes mariées à faire enregistrer les leurs si elles veulent les utiliser, alors que l'article 16 de l'édit les avait dispensées. Il rappelle l'interdiction d'utiliser des armoiries non enregistrées pour sceller des actes publics.

 

L'arrêt du 5 mars 1697 réaffirme l'interdiction pour toute personne célibataire et majeure de porter les armes de ses parents sans les faire enregistrer.

 

L'arrêt du 16 mars 1697 ordonne la recherche des personnes qui ont effacé les leurs pour ne pas avoir à les enregistrer. Il interdit, de plus, le port des fleurs de lys sans "titre ou possession valables".

 

Celui du 26 mars 1697 rappelle que tous les meubles porteurs d'armoiries non enregistrées doivent être confisqués "et les propriétaires contraints à l'amende".

 

Enfin, celui du 20 août 1697 précise que les provinces ou communautés d'habitants doivent payer les droits sur leurs propres revenus ou à défaut "au moyen des impositions qui en seront faites".

 

3. La phase coercitive

 

Ces diverses mesures incitatives n'ont pas l'effet escompté, à en juger par celle qui suit. En effet, par arrêt du 3 décembre 1697, le Conseil adopte une solution radicale, sans aucun doute sous la pression de Vannier qui n'arrive pas à honorer ses engagements. Cet arrêt va contre l'esprit qui avait animé la rédaction de l'édit de novembre 1696 et qui reconnaissait la liberté de la capacité héraldique. Peu de monde s'étant présenté spontanément, le pouvoir va désigner qui doit porter un blason.

 

L'arrêt du 3 décembre prend donc le prétexte de l'hésitation : "plusieurs personnes doutent si elles sont sujettes à l'enregistrement de leur blason... Ensuite qu'elles attendent pour cela d'estre éclairées de leurs doutes". Désormais elles n'en auront plus car les assujettis à l'enregistrement seront inscrits sur des rôles. Ces rôles sont arrêtés par les intendants avec l'aide de leurs subdélégués qui recherchent les notables susceptibles de porter des armoiries. Ils sont déposés aux greffes des hôtels de ville ou des juridictions ordinaires, publiés et notifiés aux intéressés. Ces derniers disposent alors d'un délai de 8 jours, à partir de la notification, pour se présenter à la formalité de l'enregistrement. Passé ce délai les commissaires attribuent un blason d'office et poursuivent en paiement des droits.

 

Cette mesure est très mal accueillie par les populations et l'intendant Lebret signale, pour la Provence, une émeute à Toulon le 29 juin 1698. Les marchands de la ville malmènent les huissiers du commis qui doivent se réfugier à l'hôtel de ville. Cette impopularité et le faible rendement financier oblige le pouvoir à assouplir ses positions avant d'abandonner purement et simplement l'application de l'édit.

 

4. Les assouplissements et l'abandon

 

Un arrêt du Conseil du 17 octobre 1699 arrête toutes les poursuites en cours et dispense de l'enregistrement des personnes de condition assez modeste comme les "curez à simples portions congrues", les chapelains et officiers ayant moins de deux cents livres de revenus, les bourgeois des villes franches qui ne portent pas l'épée.

 

L'édit d'août 1700, après avoir reconnu dans son préalable que celui de novembre 1696 n'avait été pris que pour des raisons financières, supprime les différentes maîtrises dont les offices n'avaient trouvé aucun acquéreur. Il permet, de plus, aux titulaires d'armoiries enregistrées de les transmettre à leurs descendants sans que ces derniers n'aient à les faire enregistrer. C'est presque la fin de l'application de l'édit de novembre 1696 qui est marquée par la publication de l'édit d'avril 1701 qui rétablit l'office de Juge d'Armes de France. Les enregistrements ne continuèrent pas moins jusqu'en 1709 date après laquelle l'Armorial général ne fut qu'un mauvais souvenir.

 

Cette législation impopulaire, et surtout contraire aux usages du royaume, eut des résultats financiers lamentables. Alors qu'il était attendu des rentrées de l'ordre de 9 millions de livres, seulement 2 338 880 livres furent encaissées par Vannier et ses commis malgré toutes les contraintes qui furent imposées et 120 049 armoiries enregistrées.




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